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Aux trois quarts découvert, sous la porte cochère de la maison où furent quelque temps les magasins du Pauvre Jacques, je recevais les obus et les faisais passer à un franc-tireur qui les déposait dans une voiture à bras.

J’en tenais un dans mes bras, lorsque je fus blessé par une balle à la cuisse. J’eus la présence d’esprit, en tombant, de tenir l’obus serré contre moi. Sans cela c’en était fait des francs-tireurs et des gardes nationaux qui étaient occupés à ce transport de munitions. On aurait eu à déplorer un sinistre effroyable : 100 à 150 obus auraient éclaté si le mien m’eût échappé. Je fus un instant abandonné, l’épouvante ayant saisi tous ceux qui étaient avec moi…

L’antiquité avec Cynegire et d’autres héros qu’on renomme, l’histoire moderne avec le dévouement du chevalier d’Assas et le sang-froid de Jean-Bon-Saint-André attaché au grand mât du vaisseau criblé de boulets et prêt à sombrer, offrent-elles de plus admirables exemples d’intrépidité ? Si la Commune, où il y a eu tant de beaux parleurs, de publicistes mordants et de sociologues profonds, avait eu beaucoup de défenseurs comme Maxime Lisbonne, malgré l’infériorité des conditions de la lutte, le résultat final n’eût peut-être pas été le même ; si surtout, au lieu de prendre pour chef le traitre Lullier, c’eût été à ce brave qu’on eût confié la défense de Paris, la marche sur Versailles eût été commencée, dès le 19, alors le Mont-Valérien eût appuyé la colonne d’attaque du 4 avril et la bataille changeait de face.

Le vaillant Lisbonne ne fut pas suffisamment apprécié et honoré de son vivant, surtout par les jeunes générations ignorantes. Ne l’ayant pas vu au combat, les révolutionnaires juvéniles voulurent rabaisser ou railler en lui le cabotin montmartrois qu’ils affectaient de connaître seulement. Ce grand cœur, ce d’Artagnan de la Commune, mérite d’être remis parmi les hommes de 71 à la place qu’il occupa au feu, c’est-à-dire au premier rang.