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Les journaux, les correspondances politiques reviennent sans cesse sur ce point, qui semble être le nœud gordien de la question franco-germanique : « Paris tiendra-t-il ? »

Eh bien ! admettons pour un instant que Paris subisse le sort de Sedan et de Metz : après ? Est-ce que Paris est la France ? — En matière politique, Oui, depuis quatre-vingts ans.

Mais aujourd’hui que les considérations militaires doivent primer sur toutes les autres, en quoi la chute de Paris devrait-elle forcément entraîner celle de la France ? Et quand bien même le roi de Prusse tiendrait sa cour dans ce palais des Tuileries encore tout imprégné de l’infection bonapartiste, en quoi cette fantasmagorie devrait-elle décourager les deux ou trois millions de citoyens armés d’un bout à l’autre du pays pour la défense du sol ?

Maximilien n’a-t-il pas trôné quatre ans à Mexico, ce qui ne l’a pas empêché d’expier son crime sur le Champ de Mars de Queretaro, tandis que la Souveraineté du droit national rentrait triomphante dans la cité de Montezuma.

Pendant ces quatre années, alors que le seul pouvoir légitime errait, fugitif, du Rio-Grande au Sacramento, bien des patriotes éprouvés, bien des esprits fortement trempés contre l’adversité, en étaient venus à douter de l’efficacité de nos efforts, à nier la délivrance future.

Quant à moi — et c’est là mon seul mérite — aidé de quelques patriotes indomptables, tels que Porfirio Díaz, Escobedo, Alvarez Ortega, ma foi n’a jamais chancelé.

Parfois, quand, à la suite de revers accablants, entouré de défections, une morne tristesse s’emparait de mon âme, je me redressais aussitôt et me rappelant ce vers immortel du plus grand des poètes :

« Personne n’est tombé, tant qu’un seul est debout ! » plus que jamais je voulais la lutte, la lutte à outrance, sans pitié, sans merci, jusqu’à l’expulsion de l’intrus.

Dieu a couronne mes efforts et ceux de tant de braves, dont beaucoup, hélas ! ont payé de leur vie notre commune foi en la patrie et en la République.

Il en sera de même pour la France, j’en ai le précieux espoir. Sa cause, depuis la chute de Bonaparte, est celle de tous les peuples libres. Cette vérité est si bien comprise par les démocrates mexicains que six cents ex-soldats de l’indépendance, de ceux-là mêmes qui, pendant cinq ans, ont soutenu le juste combat contre les bandes des Bazaine et des Dupin, doivent s’embarquer à Vera-Cruz pour New-York, d’où, armés et équipés à leurs frais, ils comptent aller rejoindre le corps du glorieux Garibaldi.

Et je le proclame avec fierté :

La légion mexicaine sera digne de combattre et de mourir à côté de l’armée française régénérée, pour la sainte cause de la République universelle.

À vous de tout cœur.

Benito Juarez.