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venait nulle part, en tant que pouvoir organisé, ayant un siège, et devant donner une direction. Les membres, répandus dans les quartiers qui les avaient nommés, n’exerçaient qu’une action locale et limitée. L’insurrection avait ses bras partout, sa tête nulle part. C’était comme un poulpe monstrueux, qui étendait sur toute la ville ses tentacules, mais dont le centre vivant et devant donner l’impulsion, la direction, n’apparaissait point. Le fameux Comité, ce jour-là, n’avait de Central que le nom. C’était un corps désarticulé. Ce ne fut que vers onze heures, alors qu’une partie des insurgés, voyant la ville fort tranquille, avait été paisiblement se mettre au lit, que quelques membres du Comité eurent l’idée de se joindre, de cesser l’éparpillement de forces et d’action qui avait caractérisé cette journée unique dans l’histoire des Révolutions, et de relier les faisceaux épars, de se rassembler en un point central. Ce centre de rassemblement était tout indiqué : c’était l’Hôtel-de-Ville[1]. Quelques individualités mandatées, suivies de divers officiers et de gardes nationaux isolés, appartenant à différents bataillons, s’y rendirent, un peu au hasard, ne sachant pas si des troupes n’y avaient pas été

  1. L’auteur, dans la matinée, avait rencontré un ami (Ferdinand Révillon, par la suite directeur des douanes sous la Commune), à l’angle de la rue de Douai et du boulevard extérieur. Il assistait à la retraite des compagnies du 88e de marche, se dirigeant au hasard, avec des gardes nationaux mélangés dans leurs rangs débandés. « C’est la Révolution qui passe ! » lui dit Ferdinand Révillon, qui ajouta aussitôt : « Il faudrait à présent, tout de suite, un gouvernement à l’Hôtel-de-Ville. » Ce citoyen, très favorable au mouvement, avait un sens juste de la situation. Les chefs de la garde nationale n’eurent pas la même clairvoyance, puisqu’il n’y eut d’apparence de pouvoir à l’Hôtel-de-Ville que vers minuit. Ce premier retard, cette incroyable indécision, furent les causes initiales de la défaite de l’insurrection, de l’impuissance inévitable de la Commune.

    La Révolution traînait, balbutiait, se localisait, permettait à Thiers d’exécuter son plan : elle se trouvait d’avance vaincue, comme les événements l’ont démontré.