Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les gardes nationaux signalés sur les lieux n’avaient que des fusils à tabatières.

Vraisemblablement ce fut un chasseur, ou peut-être un lignard du 88e, qui tira le coup de fusil qui atteignit le général Lecomte derrière la tête et le tua net[1]. Le général avait conservé son sabre au côté.

La maison sinistre s’était promptement vidée. La fièvre de la foule était tombée. Une dépression s’abattait sur tous ces cerveaux un instant hyperesthésiés. Une réaction, produite par l’effroi, le remords, la pitié peut-être, s’emparait de ces corps d’énergumènes, les poussait à s’éloigner, apaisés et un peu honteux. Les morts font peur aux enfants, qui s’enfuient des endroits où on les dépose. Cette popu-

  1. L’auteur se trouvait, avec M. Victor Simond, depuis directeur du Radical et de l’Aurore, au pied de l’escalier de la rue des Rosiers, vers cinq heures. Il revenait de l’enterrement de Charles Hugo, et, en sa qualité de journaliste, ayant appris que des officiers avaient été conduits au Château-Rouge, il s’y rendait afin d’avoir des nouvelles. Il monta la rue Muller. On ne laissait pas passer. Mais là se trouvait de piquet avec sa compagnie, un capitaine de la garde nationale, un confrère, Achille de Secondigné, rédacteur en chef du Citoyen. Celui-ci leur permit de franchir le cordon des gardes nationaux. Ils parvinrent ainsi sur le terreplein de la Butte, à peu près à l’endroit où fut depuis le restaurant du « Rocher Suisse ». À peine étaient-ils arrivés qu’ils entendirent des détonations successives, précipitées. Il y avait quelques personnes seulement à cet endroit, gardes nationaux et civils. Ils s’arrêtèrent. Presque aussitôt une foule descendit les degrés de l’escalier, parlant avec animation, mais sans cris. Un groupe entourait un soldat. C’était un homme du 88e, il montrait, avec une ostentation fébrile, son chassepot dont canon étai noirci à l’orifice. Les assistants le regardaient, lui et son arme, dans une sorte de stupeur. Un de ceux qui étaient là essaya de goguenarder : — « Eh bien ! camarade, il ne vous f… plus dedans ?… » — C’est moi qui lui en ai f..… dedans ! » répondit le soldat, un homme à figure ni bonne ni méchante, avec un léger collier de barbe brune, très courte, ayant l’accent et l’allure d’un natif de l’Auvergne ou du Rouergue. Nous nous hâtâmes de descendre, impressionnés, pour porter la nouvelle aux bureaux du journal le Peuple Souverain. 322, rue Montmartre, dont le directeur était Valentin Simond, et le rédacteur en chef Pascal Duprat.