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Une poussée formidable se produit. Le général Clément Thomas est le premier entraîné dans un assez long couloir faisant face à la porte de la villa, et au bout duquel se trouve un jardin.

Peu après, le général Lecomte paraît à son tour dans le couloir. Piger nous donne l’ordre d’accompagner le général, au premier étage.

Nous nous acheminons à grand peine vers l’escalier ; mais, dès les premières marches, Lecomte nous est arraché, et ramené dans le corridor.

Au même instant, des coups de feu éclatent dans le jardin ; c’est le général Clément Thomas qu’on fusille.

Lecomte est arrivé sur la première marche du petit escalier descendant au jardin.

J’étais près de lui. Il déclare qu’il veut adresser quelques paroles à ceux qui sont là.

Je m’écrie : « Citoyens, avant de fusiller le général, laissez-le parler. Peut-être a-t-il quelque chose de grave à vous dire. »

Mais on ne m’écoute pas. Le général est poussé dans le jardin. Il tombe au premier coup de fusil.

Vivement émotionné, je traverse les rangs serrés de ceux qui se pressaient dans toute la longueur du couloir, et je reviens à la pièce du rez-de-chaussée où se trouvaient les autres prisonniers. Je monte sur l’appui de la fenêtre où se trouvait, il y a un instant, le caporal de chasseurs et, m’adressant encore à la foule, je demande grâce pour les autres officiers prisonniers.

Ceux-ci ont démontré, par le massacre de milliers des nôtres pendant la semaine sanglante, que ma pitié était au moins naïve.

« Oui, grâce pour ceux-là », répond-on dans la foule.

Immédiatement, nous formons une petite escorte ; nous plaçons les prisonniers au milieu de nous et nous gagnons la rue.

Là, nous voyons accourir, ceiot de son écharpe et les traits décomposés, le citoyen Clemenceau qui s’écrie : « Pas de sang ! mes amis, pas de sang ! »

« Il est trop tard », lui répondis-je.

Sans s’arrêter, il traverse la cour. Nous, nous continuons notre retraite jusqu’au Château-Rouge, où nous laissons les prisonniers.

À ce témoignage important, fait en 1901, c’est-à-dire vingt-deux ans après l’amnistie, donc sans crainte, par un