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s’adressaient aux soldats, les implorant, leur disant de laisser les canons, de ne pas tirer sur elles, sur leurs maris, sur leurs frères. On sait qu’elles réussirent. Il est probable que ces braves personnes, enchantées du dénouement pacifique, et fières de voir les canons rester aux mains des leurs, pendant que les soldats se défilaient, regagnèrent presque toutes leur logis. Il fallait préparer le repas, et vaquer aux soins du ménage. Mais, dans l’après-midi, ce fut, en majorité tout au moins, une autre population qui accourut, attirée par le bruit, alléchée par une odeur de sang. Montmartre, surtout Clignancourt, la Goutte d’Or, la Chapelle, contenaient, contiennent encore, une grande quantité de filles, racoleuses des boulevards extérieurs, logeant dans les garnis suspects des environs, habituées des comptoirs et des bastringues des barrières voisines. Ce public en jupons n’est guère matinal. Il était donc absent, entre sept et neuf heures, quand, sur la Butte, rue des Rosiers, rue Lepic, rue Houdon, place Pigalle, la collision avec la troupe fut évitée, et justement par cette intervention féminine, où les éléments violents et vicieux ne figuraient pas encore. Dans l’après-midi, au contraire, toute « la tierce » des prostituées, des souteneurs, des rôdeurs, de la Villette à l’ex-barrière Rochechouart, était accourue par curiosité, par désœuvrement, par goût du désordre, par espoir d’assister à des bagarres, vraisemblablement sans désir de répandre le sang, mais toute disposée à le voir couler, prête à assister, comme à un spectacle de choix, sans protestation, mais sans répugnance, avec plaisir plutôt, à une scène de meurtre. Les habitudes brutales, l’insensibilité physique, s’alliant à l’endurcissement moral, faisaient de ce public, comme un sanguinaire chœur antique destiné à se mêler en paroles à l’action, à encourager les protagonistes, à provoquer par ses imprécations les pires péripéties de la tragédie.