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puis un chef de bataillon du 99e de marche, je crois, deux capitaines du 115e ligne abandonnés par leurs hommes dans la gare du Nord, et un capitaine du 84e en bourgeois, qui revenait de captivité en Allemagne, et avait été arrêté à sa descente du chemin de fer comme « mouchard ». Je restai dans la compagnie de ces messieurs, jusqu’à trois heures et demie ; le capitaine Mayer, auquel nous demandions sans cesse de nous montrer enfin ce comité dont tout le monde parlait autour de nous, était fort embarrassé de nous répondre, mais très attentif pour nous, et plein de prévenances.

À ce moment, je me mis à la fenêtre, et je vis se produire dans le jardin un mouvement de mauvais augure ; des gardes nationaux formaient la haie, mettant la baïonnette au canon ; tout cela semblait annoncer un départ. Il était évident que nous allions être emmenés du Château-Rouge. Effectivement, le capitaine Mayer vint nous prévenir qu’il avait ordre de nous faire mener aux Buttes Montmartre, où se tenait définitivement le Comité, qu’on cherchait, nous dit-il, depuis le matin. Je vis bien clairement alors que ce Comité n’existait pas, ou bien ne voulait pas s’occuper de nous ; et j’en conclus que nous étions bel et bien perdus, que nous allions jouer un deuxième acte à la tragédie du général Bréa et de son aide-de-camp, lâchement assassinés le 24 juin 1848, à la barrière Fontainebleau.

« Nous descendîmes ; c’est alors que je vis pour la première fois le général Lecomte, qui avait été gardé au secret dans une chambre séparée ; il avait l’air calme et résolu. Nous le saluâmes, et les officiers de la garde nationale en tirent autant, mais les hommes qui faisaient la haie nous injuriaient en nous menaçant d’une fin prochaine. Je n’y étais pour ma part que trop préparé !

« Maintenant commence notre véritable supplice, notre chemin de croix.

« Nous traversons, au milieu des huées et des imprécations de la foule, tout un quartier de Montmartre. Nous sommes assez énergiquement défendus par les officiers de la garde nationale, qui cependant devaient savoir que nous exposer ainsi à cette foule furieuse, à leur propre troupe affolée, c’était nous condamner à mort. Nous gravissons le calvaire des Buttes Montmartre, au milieu d’une brume épaisse, au son de la charge (amère dérision), que sonnait gauchement un clairon de la garde nationale. Des femmes, ou plutôt des chiennes enragées, nous montrent le