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lèveraient la crosse en l’air, que les chasseurs, après avoir perdu un seul officier, ne songeraient plus qu’à tourner le dos, et que tous les exploits des troupes régulières se borneraient à de copieuses bombances en compagnie des insurgés ? Non seulement le gouvernement aurait pu supposer cela, mais je ne conçois pas qu’il ait pu un seul instant espérer un dénouement qui ne fût pas absolument celui-là. Comment depuis bien des jours déjà, les soldats oisifs erraient dans les rues avec les gardes nationaux ; ils logeaient chez les Parisiens, mangeaient leur soupe, courtisaient leurs femmes, leurs filles, ou leurs bonnes. Déshabitués de la discipline par le relâchement que la défaite avait introduite dans l’organisation militaire, désabusés du prestige que les chefs essayaient en vain de conserver après les désastres, importunés de leur uniforme qui désormais ne pouvait plus leur inspirer de fierté, ils devaient évidemment être tentés de se mêler à la population, de se confondre parmi ceux à qui l’humiliation de la défaite incombait moins directement. Le soldat vaincu voulait se cacher dans le citoyen. D’ailleurs, les généraux, les colonels, les capitaines, ne connaissaient-ils pas l’esprit des troupes ? Faut-il admettre qu’ils se soient grossièrement trompés à ce sujet, ou qu’ils aient trompé le gouvernement ? Donc celui-ci pouvait et par conséquent devait être en situation de prévoir le résultat de sa tentative de répression. Il avait peut-être Le droit de sévir, mais il n’avait pas celui d’ignorer qu’il n’en avait pas le pouvoir.

(Catulle Mendès, les 73 journées de la Commune. Lachaud, éd. Paris, 1871.)

M. Thiers n’ignorait pas complètement le désarroi moral où se trouvait l’armée. Plusieurs dépositions de généraux et de fonctionnaires, dans l’Enquête, démontrent qu’il avait été averti par eux. C’est même parce qu’il était au courant de la situation, parce qu’il était persuadé qu’il ne pouvait faire grand fonds sur les troupes restées dans Paris, ayant subi le siège, et assisté aux désordres qui firent suite à la capitulation, qu’il combina son plan, dont le premier résultat devait être de soustraire ce qui restait de bon et de sain dans l’armée, au contact de la population, et au milieu parisien, qu’il estimait pernicieux. C’est dans cet état d’es-