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Il se produisit donc partout une sorte de suggestion populaire, de domination de la part d’une masse désarmée, visiblement inoffensive, où les femmes et même les enfants formaient un appoint considérable. Les troupes impressionnées, ébranlées, attendries même, cédèrent la place, ne firent aucun usage de leurs armes, et, en quelques endroits, les rendirent. Cela tient du miracle. Les paniques sont des phénomènes suggestifs. Ici, il y avait panique, sans danger, sans inquiétude. Les troupes avaient peur de cette foule désarmée ; elles ne voulaient pas lui faire de mal, et reculaient, ou se sauvaient devant elle, comme si elle eût été terrible. Cette mentalité militaire, dont M. Thiers n’avait pas eu un instant l’idée, avait des précédents historiques, bien connus de lui. Il s’attendait seulement à une résistance armée de la part des gardes nationaux, à une retraite de la troupe devant des insurgés opiniâtres tirant sur elle, avec des barricades élevées partout, menaçant de couper un retour possible aux casernements. Aussi avait-il cru à la nécessité de ne pas les engager à fond, de les rappeler, de les mettre à l’abri, afin de les avoir sous la main, et de pouvoir les emmener hors de Paris, en vue de la rentrée offensive et victorieuse qu’il souhaitait.

M. Thiers aurait pu cependant prévoir cette défection, d’après certains indices et des renseignements qu’il devait posséder, ainsi qu’il résulte du témoignage de divers témoins entendus dans l’enquête. Un écrivain fantaisiste, mais observateur avisé, écrivant au jour le jour les faits qui se passaient sous ses yeux, et notant les impressions du moment, a consigné cette Juste appréciation, sur les événements auxquels il venait d’assister :

Eh ! dira-t-on, inscrivait-il sur son journal, le soir même du Dix-Huit mars, le gouvernement pouvait-il supposer que les lignards