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ver la société, servir son pays, et mettre la République bourgeoise et modérée, son idéal, sa religion, hors des atteintes des hérésiarques du socialisme, des schismatiques de la monarchie. Les grands inquisiteurs et les grands terroristes brûlaient et guillotinaient ainsi pour le salut des âmes, pour le salut public. Thiers bombarda, fusilla et déporta les républicains pour le salut de la République. Son plan fut conçu dans le secret de son cabinet, avec l’implacable sérénité d’un despote, et exécuté avec la cruauté inexorable d’un fanatique. Il se donna la mission d’un exterminateur. Les circonstances servirent ses desseins. Les événements toutefois dépassèrent ses calculs.

Trois données principales composaient le problème qu’il voulait résoudre : 1o le désarmement ; 2o la répression ; 3o l’organisation de la République modérée, libérée de la double crainte des monarchistes et des socialistes. Pour le résoudre il concevait trois opérations : 1o une provocation ; 2o un refus de toute conciliation ; 3o l’intervention brutale de la police et de l’armée. Ensuite il serait maître de la situation, et l’Assemblée Nationale voterait tout ce qu’il lui demanderait. Il en serait différemment si la population parisienne demeurait calme sous les provocations, et se laissait désarmer, menacer, museler, sans résistance. Alors il ne pourrait longtemps se camper en sauveur. On oublierait probablement ses services assez rapidement. Il n’aurait pas le prestige du Saint-Georges ayant terrassé l’hydre de l’anarchie. Il laisserait dans les faubourgs de dangereux ferments de haine et de révolte. On lui rendrait le gouvernement difficile, sinon impossible. Les parlementaires de la gauche, craignant les attaques des révolutionnaires, deviendraient d’autant plus audacieux en paroles, en ordres du jour de réunions publiques, en manifestes imprimés, qu’ils auraient été timides dans l’action. Ils accentueraient leurs