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nages mêlés aux événements, n’eurent la perception, ni même l’intuition du plan scélérat combiné par Thiers, et qui se trouva réalisé, mais avec des complications, des obstacles et des aggravations que le petit Machiavel n’avait pas prévus.

On peut aujourd’hui reconstituer ce projet, qui dépassa certainement par les difficultés de sa réalisation, et par une résistance qui n’avait pas été envisagée, les calculs et les prévisions de son auteur. Pour étudier ce grave et curieux problème historique de la préparation par Thiers de l’insurrection qui éclata le Dix-Huit Mars, deux principes doivent d’abord être énoncés.

1o Paris n’avait aucun intérêt à tenter une insurrection.

Il avait des armes, sans doute, mais il n’était disposé à s’en servir que dans deux cas : si l’Assemblée tentait de renverser la République ou si les Parisiens se trouvaient provoqués par des mesures violentes ;

2o Thiers avait intérêt à susciter une insurrection.

Il ne la voulait ni très longue, ni très redoutable, mais suffisamment sérieuse pour alarmer l’Assemblée et le pays, pour persuader aux conservateurs qu’il avait sauvé la société en péril, et qu’il était seul capable d’opérer ce sauvetage périlleux. Une émeute peu grave, mais suffisante pour motiver une répression extraordinaire, lui paraissait avantageuse aussi, afin de se débarrasser des groupes et des individualités révolutionnaires. Elle lui serait utile encore pour faire reconnaître, par les républicains modérés et même par les avancés, tels que Louis Blanc, Tolain, que la République, comme ils la comprenaient, avait été en danger, et qu’il l’avait défendue et sauvée de la démagogie et de l’anarchie. Grâce à lui, le corps social se trouverait pour longtemps purgé de ses éléments nocifs. Donc Thiers était