Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes piédestaux, et s’étaient hâtés d’aveugler les regards inertes de ces statues. Inspiration romantique sans doute, manifestation un peu théâtrale, et conventionnelle aussi, mais qu’importe ! le sentiment qui l’avait dicté était excellent, et l’effet impressionnant. Il ne fallait pas, avaient pensé les décorateurs funèbres, que nos Villes de France pussent, idéalement et par une supposition de l’esprit, voir les odieux Prussiens paradant autour de leurs socles. La pudeur emblématique des majestueuses cités devait être protégée contre le viol des yeux allemands, et étant supposées ne plus voir, c’est comme si elles n’étaient point vues. Ce fut un inoubliable spectacle que celui de ces statues masquées, peut-être la grossièreté tudesque n’y prit-elle point garde, mais tous ceux qui ont contemplé cette muette et symbolique protestation en ont emporté, dans les prunelles et dans l’âme, l’ineffaçable vision.

Toute la journée, Paris avait été triste, il fut sinistre la nuit venue. De bonne heure, le repas du soir avait été préparé, avalé en hâte, et, dès neuf heures, la ville avait pris l’aspect nocturne de minuit passé. Quelques lueurs, ici et là, filtraient à travers rideaux et persiennes. Les cafés faisaient, sur les boulevards, de grands trous vides et sombres. Des lampes à pétrole, aux clartés blafardes, éclairaient les postes, les mairies. Quelques curieux, allant aux renseignements, passaient, s’évanouissaient comme des ombres.

Vers dix heures, une clarté lunaire vive donna un aspect fantastique à la ville déserte et silencieuse. Bientôt les derniers feux furent éteints, et Paris, tandis que les Prussiens ronflaient sur les bottes de paille distribuées, et dans les logements qui leur avaient été assignés, s’endormit d’un sommeil fiévreux, empli de cauchemars sinistres, et coupé de sursauts angoissants.

Cependant le soleil se leva, et il y eut comme un soupir