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plongées dans les bassin de la Concorde et du Rond-Point. On supposait qu’elles se rendaient auprès des officiers allemands, qui festoyaient dans les restaurants des Champs-Elysées, et la foule gouailleuse entendait ainsi rafraîchir leur ardeur.

Un café, tenu par un nommé Dupont, à l’angle du rondpoint des Champs-Elysées et de l’avenue Montaigne, était resté ouvert toute la journée et toute la nuit de l’occupation. Les officiers, accueillis avec des saints obséquieux et des mines empressées par le patron et ses garçons, ces derniers choisis exprès parlant l’allemand, y soupèrent avec des donzelles, bravant la fessée populaire, souriantes, accourues au bruit des thalers et des marks, qui, dans la poche des vainqueurs en belle humeur, sonnaient le ralliement. Quand les Prussiens eurent évacué les Champs-Élysées, la foule se rua sur cet établissement trop hospitalier et le saccagea.

Comme contraste avec ces réjouissances des triomphateurs, excusables au fond, car nous en aurions fait tout autant à Berlin, les soldats de garde[1], aux barrages des rues de Rivoli, Saint-Florentin et Royale, au quai et sur le pont, virent, au réveil, un spectacle imprévu et saisissant : les dames calmes et imposantes, un peu massives, qui, dans une position assise, représentent les grandes villes de France, — la statue de Strasbourg vers la rue de Rivoli, demeurant pavoisée, ornée de drapeaux, de couronnes, de guirlandes et de bandes de crêpes, depuis les premiers jours du siège, — apparurent portant toutes un masque noir sur leurs visages de pierre. Pendant la nuit, avec des échelles, des patriotes demeurés inconnus avaient escaladé les énor-

  1. L’auteur se trouvait ce jour-là de service avec sa compagnie, la 6e du Ier du 110e de ligne au barrage de la rue Boissy-d’Anglas, adossé au Cercle Impérial et à l’Hôtel Crillon.