Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lier d’autres stationnaient devant le poste, et réclamaient le prisonnier, ou l’exécution de la sinistre sentence. L’officier monta sur la grille, et expliqua à la foule que son devoir était de garder le prisonnier, afin de le faire envoyer. la préfecture ; il engageait donc le public à se calmer. On ne tint aucun compte de ses exhortations. On cria : « C’est cela, ils vont le faire échapper ! Qu’on nous le rende ! »

Des chasseurs à pied escaladèrent la grille et s’introduisirent dans le poste, d’autres citoyens en firent autant. Le poste ne tarda pas à être envahi, et on reprit le prisonnier, qu’on put encore sauver, en l’entraînant de l’autre côté de la place, près de la rue de la Roquette. Mais les furieux, s’excitant les uns les autres, n’étaient point satisfaits. Ils poussaient les cris de : « Tapez dessus ! il faut le noyer ! »

Pendant ce temps, les coups de poing et les coups de pied pleuvaient sur le prisonnier, qui était plus mort que vif, et dont l’attitude aurait cependant dû exciter, la commisération de ceux qui le maltraitaient.

Chose inouïe ! À cette heure-là, il pouvait y avoir sur la place de la Bastille environ vingt mille personnes. Les forcenés, qui réclamaient la mort de la victime, n’étaient pas plus de quatre ou cinq cents, et encore y avait-il parmi eux deux cents gamins. Eh bien ! cette minorité l’a emporté. On a repoussé le prisonnier vers le boulevard Bourdon. Là, il a supplié qu’on lui permit de se brûler la cervelle. Les chasseurs à pied, qui n’avaient pas cessé de le tenir au collet, le firent monter sur un banc, un peu plus loin que le bâtiment du Grenier d’abondance, et posèrent à la foule cette question : Voulez-vous permettre au prisonnier de se brûler la cervelle avec son revolver ? « Non, non ! répondirent deux cents voix éraillées, à l’eau, à l’eau I il n’aurait qu’à tirer sur quelqu’un ! ne lui rendez pas son revolver. »

Le cortège sinistre s’avança a par le quai Henri IV. La rage des forcenés avait redoublé. Ils poussèrent la cruauté jusqu’à prévoir le cas où la victime pourrait savoir nager et, par suite, échapper à la mort. Ils prirent la précaution, sur la berge, de garrotter le prisonnier et de lui attacher solidement les bras et les jambes. On le porta comme un véritable paquet, en passant sur les péniches amarrées à cet endroit, et on le jeta, à une assez grande distance, dans la Seine.

Nous ne saurions trop le répéter un pareil acte a pu être com-