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Comme beaucoup d’autres agents subalternes, il avait été conservé au 4 septembre, et placé dans un service non politique, les garnis ou la voie politique. On l’avait vu ce jour-là, au coin de la rue Saint-Antoine, un calepin en main, prendre les numéros des bataillons venus pour manifester. Un service d’ordre, de statistique probablement, service de renseignements nullement secrets, puisque les spectateurs faisant, la haie appelaient tout haut les numéros des bataillons à mesure qu’ils défilaient ; les journaux d’ailleurs, le lendemain, devaient citer ces bataillons. Selon d’autres témoins, cet agent prenait les numéros des régiments auxquels appartenaient les lignards, désœuvrés et désarmés, qui se trouvaient là, plutôt en badauds que comme manifestants. Mais la foule est ombrageuse, et les souvenirs des policiers de l’empire, des charges de sergents de ville sur les boulevards et dans les faubourgs, étaient demeurés vivaces, excitaient les haines, suggéraient des représailles. On avait de longues et collectives rancunes à assouvir ; l’occasion se présentait, et on ne voulait pas la laisser échapper. À certaines heures d’ivresse furieuse, le meilleur peuple redevient populace, et le premier bouc émissaire à portée est immédiatement sacrifié.

Le malheureux fut traîné du côté du canal, dit un compte rendu da Journal des Débats qui paraît exact[1], lorsque des citoyens plus calmes eurent la bonne pensée de pousser la foule devant le poste, où pénétrèrent l’individu arrêté et quelques-uns de ceux qui le conduisaient. L’officier qui commandait la compagnie de gardes nationaux de service, 91e bataillon, fit fermer les grilles.

Les deux quais se garnissaient de milliers de curieux. Un mil-

  1. L’auteur se trouvait, par hasard, aux environs de la Bastille, ce jour-là. Il assista spectateur impuissant et attristé, à cette scène affreuse, et il ne peut que confirmer le récit de l’écrivain anonyme qu’il cite.