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sation pour la garde nationale de conserver ses armes. Bismarck n’avait aucun intérêt à favoriser une insurrection, qui pouvait compromettre son gage, retarder la rentrée des troupes allemandes dans leur pays. La révolution le surprit, lui aussi, et l’inquiéta. Bien loin d’avoir été un seul instant favorable à la Commune, ce fut lui qui, nous le verrons bientôt, fournit à Thiers les moyens de l’écraser.

Le gouvernement français pouvait seul demander aux gardes nationaux un désarmement. Mais était-il capable de l’exiger ? Il était certain que l’opération présenterait de graves difficultés. La tenter, c’était provoquer des désordres, des résistances violentes, sanglantes peut-être. La portion modérée ou réactionnaire livrerait ses armes, probablement sans protestations, puisqu’il était à peu près certain que la paix allait être conclue, et qu’on n’aurait plus à faire le coup de feu, ni même à monter la garde aux remparts, mais les républicains avancés, les révolutionnaires, ne se laisseraient pas enlever si facilement leurs fusils, avec lesquels ils entendaient, non plus garder les remparts, puisqu’ils se trouvaient sous le canon des forts remis aux Prussiens, et que c’était une faction devenue sans objet, mais qui leur serviraient à détendre la République, à imposer leur République. Quant à la masse paisible et résignée, celle qui attendait les événements, qui n’allait ni à la révolution ni à la réaction, elle voulait cependant rester armée, et continuer à faire un semblant de service. Elle voyait, dans la conservation de ses armes, le maintien des trente sous, ce qui était pour elle la question principale, la question du pain quotidien. Le fusil garantissait, justifiait la solde, qui permettrait de manger jusqu’au retour des salaires, jusqu’à la reprise des affaires et de la vie normale. Jules Favre dut donc ajourner le désarmement.