Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fusils aux commissaires prussiens. Au premier abord, cette exception paraît une anomalie, presque une aberration de Jules Favre, comme pour l’armée de l’Est. Il n’en est rien, et le privilège accordé par le vainqueur à la garde nationale s’explique parfaitement. Quand, au cours des négociations, on fut arrivé à cette clause du projet d’armistice, Bismarck dit à Jules Favre :

— Vous demandez que la garde nationale conserve ses armes, je le veux bien, mais, croyez-moi, vous faites une bêtise !

Jules Favre leva les bras au plafond, plissa fortement sa lèvre dédaigneuse, et laissa tomber cet aveu :

— Je le sais aussi, et je partage votre avis, mais puis-je faire autrement ?

Bismarck eût volontiers rendu le service à Jules Favre de se charger du désarmement, mais c’était l’occupation de Paris entier, c’était probablement alors un affreux combat dans les rues ; c’était impossible. Ce ne fut pas de gaîté de cœur, et par reconnaissance pour ses services, que Jules Favre laissait à la garde nationale ses fusils, c’était parce qu’il ne savait comment les lui enlever. Bismarck, de son côté ne se souciait guère d’une besogne si grosse d’aventures, et sans profit pour l’Allemagne. C’est une supposition de haute fantaisie, accréditée dans les milieux réactionnaires, que Bismarck était ravi de laisser dans Paris une troupe révolutionnaire, avec des armes dont elle devait se servir pour l’émeute. Bismarck ne pouvait avoir eu cette arrière-pensée, ni même cette idée. Il ne croyait pas, ayant vu comment les choses s’étaient passées au 31 octobre et au 22 janvier, à l’éventualité d’une émeute sérieuse. Il prévoyait sans doute des échauffourées, des embarras pour le gouvernement, et c’était ce qu’il indiquait, quand il disait à Jules Favre qu’il faisait une bêtise, en sollicitant l’autori-