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se trouvaient comme des étrangers dans un Paris si différent de celui qu’ils aimaient, qui correspondait à leurs goûts, le Paris joyeux où ils avaient si bien vécu avant la guerre. Ils étaient inquiets autant que désorientés. Tout ce peuple armé et turbulent leur faisait peur. Ils regrettaient de ne pas avoir été au nombre des « francs-fileurs », lors des débuts du siège. Ils s’étaient bien juré de ne pas se laisser enfermer une seconde fois. Ils exécutaient leur promesse, et avec célérité. Leur départ, qui avait des airs de fuite, faisait un vide inappréciable dans la masse des habitants, mais très sensible pour la dépense, pour la richesse commune. Avec eux avaient disparu les travaux, les commandes, les achats qui faisaient vivre les commerçants, et qui auraient pu occuper les ouvriers. Une grande partie de la population pauvre subsistait avec la solde encore allouée. Mais deux nouvelles angoissantes circulaient : les loyers ajournés pendant le siège deviendraient prochainement exigibles, et les trente sous ne seraient plus accordés qu’aux gardes nationaux reconnus nécessiteux, et qui en feraient la demande par écrit. Si ces deux menaces étaient réalisées, c’était la misère pour beaucoup, la gêne pour toute la population sans travail, sans épargne ni crédit. Ces préoccupations individuelles, fort légitimes, avivaient l’inquiétude, surexcitaient l’irritation que faisaient naître les événements politiques. La composition réactionnaire de l’Assemblée de Bordeaux, la menace de l’entrée des Prussiens dans Paris, l’incertitude sur l’avenir, tous ces points terriblement noirs embrumaient les âmes. On pressentait la République en péril. Il n’était que temps de s’unir, de se concerter pour la défendre, pour la sauver peut-être. S’il fallait se battre, on se battrait, et cela ferait toujours oublier un temps les angoisses personnelles, le chômage et l’anxiété du lendemain.