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Le képi, porté même par les rares citoyens qui n’étaient pas incorporés dans un bataillon, était un signe de ralliement. Il tenait lieu de cocarde. Il excusait, facilitait ces colloques entre gens qui ne se connaissaient pas. Les taciturnes devenaient bavards, et les sobres s’accoutumaient au verre matinal. L’apéritif, qui trompait la faim, semblait indispensable. Ils étaient rares ceux qui pouvaient se passer de la tournée à offrir ou à accepter. Il n’était guère question de reprendre le travail. Pour aucun commerce, sauf pour ceux touchant à l’alimentation, il n’y avait de clientèle. On ne savait quand on recommencerait à avoir des commandes, des acheteurs, et comme les boutiquiers ne pouvaient dire quand ils reverraient leurs recettes, les ouvriers étaient dans la même ignorance pour leurs salaires. La classe moyenne, se privant, n’achetait rien, ne faisait que des dépenses de bouche. On se régalait de pain frais, de beurre, d’œufs, depuis l’armistice, et l’on dédaignait la viande de cheval, friandise de naguère. Il y avait une grande déperdition de consommateurs, une baisse dans la circulation de l’argent. Plus de 80,000 habitants avaient profité, en hâte, de l’ouverture des portes : impatience de retrouver des êtres chers, depuis si longtemps éloignés ; soif et fringale d’affections dont on avait été privé, d’amitiés et de relations suspendues, et aussi les devoirs de famille, dont on exagérait la rigueur, le besoin de changer d’air, de respirer loin de l’enceinte bastionnée, avec des appétits de distractions, et des désirs de matelots, enfin débarqués ; ces divers mobiles avaient précipité l’exode des gens riches, ou simplement aisés. Chez quelques-uns, le départ était activé aussi par une appréhension indéfinie, par l’anxiété des jours sombres qui s’annonçaient. Les élégants oisifs, les gens d’affaires, de spéculation et de négoce, ne se sentaient plus retenus par les entreprises, les bénéfices et les plaisirs. Ils