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ville de garnison, lors d’un passage de troupes. On ne rencontrait que des soldats désarmés, les bras ballants, allant, venant, baguenaudant, las, ennuyés. Rustres dépaysés, ils promenaient dans la ville enfiévrée leur nonchalance nostalgique. Ils étaient logés chez l’habitant. principalement dans les quartiers du centre ; d’autres couchaient dans des baraquements élevés sur les anciens boulevards extérieurs. Ils ne se trouvaient, ni en communion d’idées avec les citoyens, ni au diapason moral de l’ensemble de la population. Les jardins des Tuileries et du Luxembourg étaient encombrés de caissons, de fourgons, et sur les places, dans les rues larges, des pelotons de gardes nationaux continuaient à s’exercer, faisaient l’exercice, et apprenaient l’escrime à la baïonnette. On entendait des commandements : « En garde contre la cavalerie !… À gauche, à droite, parez !… Deux pas en avant, coup lancé !… En place, repos ! » On se demandait pourquoi toute cette préparation guerrière, puisqu’on ne devait plus se battre. Des officiers et des civils, âgés et barbus, notabilités de quartier et qui semblaient renseignés, murmuraient d’un air profond : « Qui sait ? » Et cette opinion encourageait les hommes à la manœuvre volontaire. Ces gardes, assidus à l’exercice, paraissaient aussi désireux de justifier la solde qu’ils continuaient à toucher.

Les Parisiens, peu à peu, essayaient de reprendre leurs habitudes, de renouer le fil de la vie de labeur et d’intérieur, cassé par l’état de guerre. Le siège avait eu, sur la population masculine, une influence plutôt fâcheuse. Les hommes n’avaient plus le goût du chez soi ; ils s’étaient dégagés de l’ambiance de la famille. Les plus rangés avaient pris des habitudes nomades. On sortait sans but, sans nécessité ; on se cherchait, on s’abordait, on interrogeait le premier passant, et l’on causait des événements.