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Ces admirables paroles n’étaient pas que de l’éloquence. Elles ne prouvaient pas seulement une fois de plus que les grandes pensées viennent du cœur. Il se rencontrait autre chose, dans ce mâle langage, que l’explosion indignée et douloureuse d’un patriotisme réduit au désespoir. Il y avait dans la protestation de M. Keller une politique, une indication précise de la conduite qu’on aurait dû tenir, une prévision de l’avenir.

M. Keller a d’abord constaté l’équivoque de la situation. On cédait à l’Allemagne l’Alsace et une partie de la Lorraine, en toute propriété et souveraineté, et cela à perpétuité. Cependant, beaucoup de ceux qui signaient, contraints, et se soumettant à la plus Impérieuse des nécessités, cette cession perpétuelle, cet abandon définitif, protestaient tout bas, et se disaient que rien n’est éternel, que l’Alsace pourrait, devrait redevenir française.

Il y avait là comme un parjure, avant la foi donnée. Le traité, vicié, dans son principe, par la violence allemande, était également vicié, dans son essence, par le patriotisme français, rétractant secrètement la perpétuité de l’engagement.

Ensuite M. Keller a déclaré qu’il était persuade que si la France avait été plus fermement résolue à ne pas sacrifier son territoire, l’ennemi se fût montré moins exigeant. Si la Prusse, qui voulait la paix, qui était épuisée et hors d’haleine, et qui avait besoin, autant que la France, de déposer les armes, avait été certaine qu’on ne transigerait pas sur la cession du territoire, qu’on lutterait sans trêve ni merci, jusqu’à la mort, on aurait eu d’autres conditions. L’Allemagne se serait tenue pour satisfaite avec de l’argent, et peut-être avec une cession coloniale.

On sait aujourd’hui que M. Keller avait raison, au moins en partie. Si la Prusse eût difficilement laissé échapper