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Eh ! bien, à mes yeux, c’est là la plus criante, la plus cruelle des injustices, et se faire, dans n’importe quelle mesure, le complice d’une injustice, la ratifier, pour moi, c’est un déshonneur. Sur une question d’honneur, la discussion n’est pas possible : à quelque parti qu’on appartienne, au parti républicain, au parti monarchique, on ne peut comprendre l’honneur de deux manières.

Des orateurs ont tâché de sortir de cet embarras, en venant protester, à l’avance, contre le traité qu’ils signeraient et qu’ils voteraient.

Ce traité, qu’on me propose de ratifier, est une injustice, et, en même temps, c’est un mensonge. On vous dit qu’on cède à perpétuité l’Alsace. Je vous déclare que l’Alsace restera française. Au fond du cœur, vous-même vous le pensez.

Oui, vous pensez que l’Alsace est française ; vous voulez la reconquérir le plus tôt possible, vous voulez qu’elle redevienne française, et je défie qui que ce soit de dire le contraire.

Et cependant, dans votre traité, vous venez de dire que vous cédez à perpétuité la propriété et la souveraineté de l’Alsace. Eh ! bien, ce traité est un mensonge, et un mensonge, c’est un déshonneur.

Ah ! je sais, on me parlera de la menace de la guerre, et des dangers qui pourraient surgir.

D’abord, en fait de déshonneur et d’injustice, à mes yeux, aucuns prétextes ne sont suffisants pour les excuser ; mais j’avoue que, quant à moi, je suis convaincu que si la France avait été plus fermement résolue à l’avance à ne pas sacrifier son territoire, si la Prusse, qui désire aussi la paix, avait été certaine de trouver sur ce point des barrières infranchissables, elle nous aurait fait d’autres conditions.

Je n’ai pas, à l’heure qu’il est, la prétention de changer les dispositions trop arrêtées dans un grand nombre d’esprits. Seulement j’ai tenu, avant de quitter cette enceinte, à protester, comme Alsacien et comme Français, contre un traité qui, à mes yeux, est une injustice, un mensonge et un déshonneur, et si l’Assemblée devait le ratifier, d’avance j’en appelle à Dieu, vengeur des justes causes, j’en appelle à la postérité qui nous jugera les uns et les autres, j’en appelle à tous les peuples, qui ne peuvent pas indéfiniment se laisser vendre comme un vil bétail, j’en appelle enfin à l’épée de tous les gens de cœur, qui, le plus tôt possible, déchireront ce détestable traité !