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le dernier râle d’agonie de l’Alsace française, au seuil du tombeau.

Voici comment s’exprima le patriote alsacien, prononçant l’oraison funèbre de son pays natal :

Messieurs, à l’heure solennelle où nous sommes, vous n’attendez pas de moi un discours : je ne serais pas capable de le faire. Celui qui devait parler à ma place, — car vous n’avez pas encore entendu un seul député de l’Alsace, — le maire de Strasbourg, le doyen de notre députation, à l’heure où je vous parle, se meurt de douleur et de chagrin ; son agonie est le plus éloquent des discours.

Eh ! bien, dans cette circonstance spéciale qui nous est faite, j’entends dire de tous côtés : Vous, députés de l’Alsace, vous pouvez voter contre le traité, mais nous, nous le voterons.

C’est vrai, nous avons quelque chose de spécial : notre honneur, à nous, nous reste entier ; pour rester Français nous avons fait tous les sacrifices, et nous sommes prêts à les faire encore ; nous voulons être Français, et nous resterons Français, et il n’y a pas de puissance au monde, il n’y a pas de signature, ni de l’Assemblée, ni de la Prusse, qui puisse nous empêcher de rester Français…

Eh bien, messieurs, comme Français, je viens réclamer ici ma part de l’honneur français, et quant à moi, ce traité est une atteinte à l’honneur français… et ce n’est pas seulement comme Alsacien, c’est comme Français que j’en souffre, pour mon pays ; quand on nous a annoncé ce traité, on nous a dit que la paix était nécessaire, mais qu’elle ne serait acceptée que si elle était honorable. Est-elle honorable, messieurs ? Est-il honnête de céder des populations qui veulent rester françaises, et qui, quand même, resteront françaises ? Ah ! je comprends, messieurs, qu’on livre des pierres, des forteresses, des vaisseaux ; mais que diriez-vous, si, sur des vaisseaux qui ne sont que du bols et du fer, vous livriez des équipages, et si vous forciez nos matelots à devenir matelots prussiens, et à faire la guerre à la France ?

Eh ! bien, c’est à ce que fait votre traité, vous livrez à l’empire d’Allemagne des populations entières, dont les enfants seront obligés de servir les desseins ambitieux, despotiques, de l’empire d’Allemagne, obligés du moins par le texte du traité, car je vous le dis d’avance, il y en a beaucoup qui, au péril de leur vie, échapperont à la servitude que vous leur aurez édictée.