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la Silésie et le partage de la Pologne ? La Russie ne voit donc pas l’aigle impérial allemand qui étend ses ailes sur la Baltique ? L’Autriche a-t-elle oublié Sadowa ? L’Italie ne comprend-elle pas que la Prusse convoite déjà Trieste ? Le sort du Danemark n’a-t-il pas averti la Hollande ? Et l’Angleterre ne sait-elle pas ce qu’elle peut attendre du pangermanisme levant enfin le masque, et mettant l’épée à la main ? Y a-t-il si longtemps que l’équilibre européen était invoqué comme une nécessite, afin de mettre le territoire belge à l’abri de toute atteinte ? Comment l’Europe ne s’alarmerait-elle pas d’un César germanique, aujourd’hui, après s’être alarmée et coalisée, dans le passé, contre un César français ?

Ces considérations, malgré leur pessimisme, étaient de nature à impressionner l’Assemblée, mais la résolution de faire la paix, sans discuter les conséquences de cette soumission à la loi du plus fort, était arrêtée dans tous les esprits. Ces honorables protestations n’avaient qu’une portée pour ainsi dire historique. Elles permettent aux générations actuelles de constater que la paix n’a pas été consentie à l’unanimité des voix, ni sans réserves.

Parmi les orateurs qui crurent utile de motiver leur vote ou leur abstention, défilèrent ensuite à la tribune :

M. Buffet déclarant s’abstenir ; M. Jean Brunet disant, au milieu de nombreuses exclamations furieuses, qu’il n’y avait qu’un seul moyen de sauver la France, c’était de continuer la guerre ; M. Millière proposant d’employer à combattre l’envahisseur les milliards qu’on allait lui verser pour obtenir la paix ; M. Emmanuel Arago protestant contre l’intention attribuée aux adversaires du traité de rechercher la popularité. On pouvait d’autant mieux croire M. Arago, que, sauf à Paris, et dans quelques villes, et aussi en Alsace et en Lorraine, c’était la paix qui était populaire. Arago pensait aux électeurs futurs.

Enfin M. Keller, au nom de la députation d’Alsace, vint apporter une éloquente et douloureuse protestation. C’était