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sistance, l’assemblée de Bordeaux eût-elle réclamé et voté la paix quand même ?

Les Prussiens n’ont pas posé des conditions aussi exorbitantes, parce qu’ils savaient qu’elles ne seraient pas acceptées, parce que c’eût été déclarer qu’ils voulaient, eux, continuer la guerre. La France alors eût bien été forcée de choisir ; il lui aurait fallu se laisser égorger, comme un mouton bêlant, ou essayer de mordre, comme un loup blessé, puisqu’il lui restait des crocs. Les Prussiens se montrèrent relativement raisonnables, — malheureusement pour nous peut-être.

L’obligation de faire la paix, et la nécessité de se rendre à merci n’étaient donc pas aussi absolument impérieuses qu’on le prétendait. Si l’on a accepté les conditions de Bismarck, c’est qu’elles parurent acceptables, en tous cas préférables à l’option pour la continuation de la guerre. Le raisonnement par l’absurde, ou du moins par une hypothèse invraisemblable, prouve que la France pouvait refuser de payer cinq milliards comme elle aurait refusé d’en payer cinquante, et que la cession de l’Alsace-Lorraine aurait pu lui paraître aussi inacceptable que la cession de la Bourgogne, de la Franche-Comté, de tous les départements qui figurent déjà sur les cartes militaires allemandes comme devant être un jour conquis et annexés.

Les lois supérieures du déterminisme doivent être considérées comme ayant agi dans cette atroce nécessité. La France, dans l’état de faiblesse morale où elle se trouvait, ne paraissait pas libre de refuser la paix, bien qu’en réalité elle aurait pu, elle aurait dû le faire.

Il apparaît donc injuste de trop sévèrement juger ceux qui ont conseillé la paix, et l’on ne saurait condamner sans le bénéfice des circonstances atténuantes ceux qui l’ont votée. Il pouvait être facile de protester, isolément.