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Incapable d’une grande pensée, parce que, selon le délicat et sympathique Vauvenargues, dont il avait analysé les sentiments, sans les comprendre, et décrit les modestes vertus, sans les imiter, ces pensées-là viennent du cœur, et il n’y avait que de la tête chez lui. Il n’eut jamais une idée généreuse, jamais une pensée large, dépassant le cercle restreint des préoccupations mesquines et des intérêts immédiats.

C’est par cette sécheresse de cœur et par cette petitesse de cerveau qu’il charma et conquit pour toujours la bourgeoisie.

Qu’il l’aimait et qu’il la courtisait cette bourgeoisie dans laquelle il n’était pas né, mais au sein de laquelle il avait acquis droit de cité ! Il haïssait l’aristocratie, qu’elle vînt des hasardeux privilèges de la naissance, ou du légitime avènement du talent. Il exécrait le peuple. Il l’a d’abord insultée, notre patiente et laborieuse population ouvrière et paysanne, en lui refusant ses droits électoraux ; il l’a appelée « vile multitude ». Mais les paroles ne suffisaient pas à assouvir sa haine de fils d’ouvrier parvenu ; par la suite, il a agi. De la rue Transnonain aux tranchées du Père-Lachaise, les ossements blanchis des travailleurs peuvent témoigner de l’énergie de son action, et de l’âpreté de son animosité. Il agit aussi sur la classe moyenne par l’abondance de sa parole, la clarté de ses expositions, la facilité avec laquelle il citait les chiffres et la souplesse qui lui servait à manier les faits. Il ne fut jamais un grand orateur, dans le sens sonore et théâtral que la mémoire des hommes attache à ce terme. On l’a qualifié de Mirabeau-Mouche. Il fut plutôt le Danton du juste-milieu, car il effraya souvent, par son audace mesurée, ceux qui l’admiraient, et il leur parut certaines fois bien hardi, par exemple lorsqu’il affirma qu’un pays pouvait vivre et prospérer sous la forme de la République. Il est vrai qu’il permettait