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les vins généreux, les distractions du cercle, du café, donnaient, au sortir de l’enfer de la guerre, l’aspect d’un parais à la cité girondine. Les Bordelais, aimables et souriants, faisaient de leur mieux les honneurs de leur ville. Enchantés de l’aubaine d’une assemblée, les négociants supputaient des bénéfices probables, les commandes certaines, et l’argent qui serait laissé dans la ville. La population avait d’ailleurs supporté, avec résignation, les contre-coups amortis le l’invasion, la difficulté des affaires avec l’étranger et l’interruption des commandes à l’intérieur. Mais comme on comptait se rattraper à la paix, on avait fait, contre cette mauvaise fortune passagère, excellent cœur. « Vous devez avoir beaucoup souffert à Paris, disait un de ces optimistes aquitains, mais nous ici, nous n’avons pas été sans ressentir les malheurs de la guerre : les théâtres ont été fermés trois semaines ! » Une seule chose rappelait aux Parisiens transportés dans cette ville, pour eux pays de Cocagne, la guerre et ses tragédies : auprès des cafés où l’on plaisantait, en buvant apéritifs et sirops, sur les places où des saltimbanques dressaient leurs tréteaux et lançaient leurs lazzis, sur ces allées balayées par les jupes des femmes cherchant aventure, partout, en chaque endroit un peu vaste de la ville, se rencontraient des canons, stagnant, allongeant leurs cous de métal, muets, devenus inutiles, mais des canons très fourbis, des canons luisants, qui semblaient les accessoires, mis au rebut, d’une pièce militaire qu’on avait cessé de jouer.

Le siège du gouvernement était à la préfecture. Gambetta en avait déménagé, et s’était logé dans une petite maison, cours du XXX Juillet, nº 41. Jules Simon s’était installé chez le recteur de l’Académie.