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13 février. Voilà pour les gens superstitieux une date fatidique.

Bordeaux, durant ce mois de février, fut la capitale de la France. Une population bigarrée, militaire, civile, féminine, avait envahi la ville élégante du Sud-Ouest, et la transformaient en une sorte de ville d’eaux, de ville de fête, de ville cosmopolite, siège d’une exposition.

L’élément exotique semblait représenté par tous ces seigneurs de villages, par ces campagnards à prétentions aristocratiques, à préjugés d’ancien régime, dont le suffrage universel venait de faire des députés. Beaucoup d’uniformes mettait des taches claires et vives parmi les vestons grisâtres et les redingotes à la propriétaire de ces élus. On remarquait, et l’on admirait, la belle tenue de ces soldats, tous propres, luisants, à qui pas un bouton de guêtre ne manquait cette fois, et le chic des officiers brillants, vernissés, soutachés, pommadés. Cette armée si pimpante, si différente des soldats de la Loire, des réfugiés de l’Est et des défenseurs de Paris, évoquait des idées de revue, de parade et de galas. On assurait que tous les officiers de Bordeaux avaient voté pour la paix. Des journalistes étaient venus en nombre, de Paris et de l’étranger, pour suivre les débats. Ils formaient des groupes très vivants sur les allées de Tourny et aux abords de la Comédie, devenue palais législatif. Les cafés regorgeaient de consommateurs. Le soir, les quinconces, les allées, l’Intendance, étaient envahis par des théories de promeneuses, s’offrant à consoler les assiégés, les militaires, des privations subies et faisant oublier aux élus campagnards l’éloignement de leurs dignes, mais peu attrayantes épouses. Bordeaux, où allait se consommer le malheur de la mutilation de la France, était gai le jour et flamboyant la nuit. On se dédommageait de toutes les abstinences. La cuisine fine de cette ville de gourmets,