Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces deux peuples dépendent la tranquillité et la prospérité de la France. »

Jules Favre aurait pu répondre que cette réconciliation désirable dépendait de son hôte. Si, en effet, Bismarck se fût contenté d’exiger des milliards pour indemniser l’Allemagne de ses pertes indiscutables, la réconciliation, et l’union dans l’avenir étaient possibles. Mais l’amputation de la chair française, le dépeçage de notre France pantelante et à terre rendirent toute pensée d’un oubli impossible, pendant quarante ans. Cette impossibilité doit durer tant que l’Alsace-Lorraine ne nous sera pas rendue, pacifiquement ou autrement. Ce n’est pas la vanité blessée, ce n’est pas l’humiliation d’avoir été battus, qui perpétuent cet antagonisme irréductible ; la France, comme toutes les nations, n’a pas toujours eu la victoire de son côté ; mais c’est l’annexion par la force d’une partie de son territoire qui rend inacceptable, pour les générations du moins qui se souviennent et ne veulent pas oublier, toute entente plus ou moins cordiale avec les Allemands. Nous avons pardonné aux Anglais Azincourt et Waterloo, et nous avons eu raison, mais si l’Angleterre eût conservé, malgré les populations, le seul port de Calais, croit-on que le roi Edouard ou son successeur auraient jamais pu venir, en amis, à Paris ?

Jules Favre ne répondit que par un geste évasif aux avances de Bismarck, et déclina, avec courtoisie, l’invitation à dîner que lui adressait le chancelier. Il revint diner à l’hôtel des Réservoirs, où l’attendaient les personnages qui l’avaient escorté dans sa mission.

Au moment où il quittait Versailles pour rentrer à Paris, les officiers commandant les avant-postes se sont avancés vers sa voiture, la casquette à la main. L’un d’eux, au nom de ses camarades, lui adressa le compliment suivant :

— Monsieur le Ministre, veuillez bien exprimer à vos