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malveillants, mais pittoresques et suffisamment documentés pour donner une idée de ces séances à peu près exacte, et qui révèlent la mentalité des tribuns populaires, a conservé la trace de motions et d’impressions du public qui prouvent les intentions patriotiques et la fébrile énergie de tous ceux qui s’entassaient dans ces salles fumeuses, insuffisamment éclairées, non chauffées, où l’on était serré sur des bancs étroits, où l’on restait souvent debout, surtout lorsqu’il y avait une personnalité connue et aimée à la tribune. Molinari n’a pu s’empêcher, par exemple, de reconnaître « le souffle et le don d’émouvoir », chez un orateur qui avait eu déjà de grands succès dans les réunions publiques sous l’empire, Briosne[1]. Voici un fragment du discours de Briosne, au club de la rue d’Arras, le 13 janvier 1871, qui permet de se faire une idée du ton et du langage de ces réunions :

LA SITUATION DÉCRITE PAR BRIOSNE

La situation est désespérée, et pourquoi ? demandait Briosne. Parce que le gouvernement, suivant en cela l’exemple funeste de ses devanciers, nous a constamment caché la vérité ; parce qu’il nous a nourris d’illusions ; parce qu’il s’est évertué à nous dissimuler la puissance de l’ennemi auquel nous avons affaire. Cet ennemi a sur nous l’avantage de la discipline et de la science ; on a voulu nous persuader que nous pouvions l’emporter sur lui grâce à la supériorité de notre courage. Vaine illusion ! Triste mensonge ! Notre ennemi est aussi courageux que nous, et, au lieu de le déprécier, nous aurions mieux fait d’acquérir ce qui nous manque pour l’égaler et le vaincre. Il y a trente-cinq jours, époque de la dernière visite de l’orateur au club Favié, on pou-

  1. Briosne, condamné pour complot en 1854, orateur de réunions sous l’Empire, candidat aux élections législatives de 1869, élu membre de la Commune par le IXe arrondissement (2,456 voix), n’accepta pas, et disparut de la vie politique.