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pour désigner les gardes nationaux comme ayant tiré les premiers, et provoqué ainsi la riposte meurtrière. Leur déposition peut paraître suspecte, ces témoins étant trop intéressés, par esprit de parti, à rejeter sur des adversaires la provocation.

Il y a des motifs plausibles pour admettre que le premier coup de feu soit parti des rangs des manifestants. D’abord l’état des esprits, la mentalité insurrectionnelle des gardes nationaux, et peut-être aussi la surexcitation d’individualités armées, éparses dans la foule, peuvent fort bien expliquer ce coup de feu isolé, dont parle Louise Michel, qui était là, au premier rang, et qui a pris part à la fusillade. Un coup de feu hasardeux pouvait amener la collision, qui, jusque-là, semblait évitée, ce dont quelques-uns devaient se montrer désappointés. Il y avait aussi le souvenir, chez les vieux insurgés, du fameux coup de pistolet, tiré, dit-on, par Lagrange, qui, ranimant l’émeute éteinte, commença la révolution triomphante du 24 février 1848. Ensuite il peut s’être produit comme une décharge spontanée et irréfléchie, le fait d’un doigt fiévreux et impulsif se posant sur la gâchette. Cela s’est vu dans des bagarres analogues, et l’événement n’a rien d’improbable. Personne, en tous cas, dans les rangs des manifestants, ne s’est vanté d’avoir tiré ce coup de feu-signal, alors que, deux mois plus tard, il n’y avait nul danger à faire cet aveu, mais même avantage et mérite à passer pour le premier assaillant de l’Hôtel-de-Ville.

Ce qui permettrait d’attribuer aux mobiles les premiers coups de Feu, c’est qu’au moment de la décharge terrible des bretons la place était encore pleine de monde, avec des femmes, des enfants, des curieux sans armes, comme le prouve le nombre et la qualité des victimes. Il est vraisemblable qu’avant de commencer le feu les gardes nationaux