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blement hérissée, son collant violet brodé de fleurs d’argent, ses yeux agrandis par le crayon, sa face blanche de fard et son cri triomphal ponctuant les miracles de sa souplesse et de sa légèreté : Boum-Boum !…

Ah ! ce cri, elle l’entendait délicieusement résonner à son oreille, durant ces redoutables insomnies d’enfant impressionnable et précoce.

Et de toutes les visions qui hantaient et charmaient son cerveau surexcité, l’image dominatrice et resplendissante du clown Boum-Boum revenait sans cesse, complétant et effaçant toutes les autres.

Peu à peu cependant l’enfant changeait.

Un mal inconnu et rapide l’abattait. Les yeux se creusaient de plus en plus sous l’orbite ; des tremblements convulsifs agitaient ses membres fragiles.

Un jour enfin, portant la main à son front elle se plaignit…

C’était lourd, c’était chaud, ça la gênait.

Elle demanda à se coucher. Le médecin vint. Il hocha la tête, et après avoir prescrit des compresses d’eau glacée et des potions opiacées, murmura d’un air peu rassurant :

— C’est grave ! Méningite compliquée de désordres cérébraux… Je reviendrai tantôt.

Quand il revint, l’enfant s’agitait dans son lit, en proie à une fièvre intense.

Elle faisait par moments des gestes étranges, impatients et saccadés comme si elle eût désiré quelque chose qu’on s’obstinait à lui refuser.

— Donnez-lui tout ce qu’elle demandera, dit le médecin, en se retirant après avoir prescrit, par acquit de conscience, de continuer les compresses et d’administrer d’heure en heure une cuillerée de potion.

Théodore était comme fou de désespoir.

Il adorait cette enfant, toute la pensée et toute la joie de sa dure et prosaïque existence de perruquier besogneux et affairé.

Entre deux coups de rasoir, il courut nu-tête, et le peigne enfoncé dans sa crinière graisseuse, chez l’épicier et chez le papetier, ses voisins. Il en rapporta des bonbons acidulés, dits bonbons anglais, des images Épinal aux couleurs brutales, et une poupée habillée en laitière, — toutes choses, pensait-il, propres à amuser l’enfant malade.

Mais la petite fille agitait toujours nerveusement ses mains moites, tournait la tête et repoussait les images, ne touchait pas aux bonbons, écartait de ses doigts fiévreux la laitière qu’on lui présentait.

Que désirait-elle donc !

Des clients, témoins du désespoir du père, venaient jeter, la serviette au cou, un regard sympathique et curieux dans l’arrière-boutique, avant d’aller plonger leur tête ensavonnés dans la cuvette.

Il y en avait qui dissertaient sur la maladie de l’enfant.