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plus en écrire désormais. Il avait eu diverses pièces rimées insérées dans un journal littéraire. Il lui eût été sinon très facile, du moins possible, de découvrir un éditeur bénévole. Au besoin, comme tant d’autres, il eût jeûné pour donner de la pâture à l’imprimeur, et eût été imprimé, comme Paul Verlaine et plus d’un contemporain, à ses frais. Il trancha net, et se dit : mes vers demeureront éternellement inédits ! Quel fut le point de départ de cette conversion à la prose, aux articles de critique, et bientôt au roman ? Qui lui inspira son abjuration de la poésie ? Il ne l’a pas clairement dit, ni à Paul Alexis, ni à personne. On peut admettre que, grand lecteur de Montaigne, s’accoutumant, d’après ce profond maître, à se regarder, à s’étudier, et « à se controller soy-même », pourvu d’un sens critique aiguisé, il ait analysé impartialement, et comme s’il se fût agi d’un autre, son œuvre : l’Amoureuse Comédie et aussi la Genèse, et contrairement au Créateur de la Bible, en face de son ouvrage, il n’avait pas trouvé que cela fût bon. Il est possible aussi que, préoccupé de se procurer les ressources quotidiennes, sans se condamner à l’internement dans un bureau, ce qui lui paraissait insupportable, voyant et comprenant, de sa chaise de commis de la librairie Hachette, la facilité relative du placement lucratif de la prose, il ait ajourné à des temps plus favorables le luxe de la poésie. Beaucoup agirent comme lui. Que de lyres déposées provisoirement, dans un coin, en attendant, sous la nécessité de vivre littérairement, en produisant de la prose au débit courant, et qui ne furent jamais reprises ! Un vers ironique de Sainte-Beuve a servi d’épitaphe à pas mal de ces « poètes morts jeunes en qui l’homme survit » .