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noter, portraicturer des contemporains qu’il ne voyait jamais ?… On a pu croire qu’il avait deviné certaines existences, qui se sont rencontrées et montrées après coup dans la réalité. Il a été un voyant, un prophète, un phénoménal sorcier doué de la double vue, le génial romancier, et nullement un observateur, un enregistreur de faits précis et un colligeur de documents comme Zola. Est-ce que, par exemple, ses aventuriers, tels que Rastignac, de Marsay, ou Maxime de Trailles, ne se sont pas reproduits, presque identiques, dans les hommes du second Empire, inexistants à l’époque où l’auteur les annonçait et les faisait vivre d’une vie supposée ? Presque tous les personnages de Balzac ont vieilli et datent, parce que, presque tous, dans la moitié de ses ouvrages, —il est des exceptions comme le baron Hulot, le père Goriot, ce roi Lear de l’épicerie, le père Grandet, cet Harpagon saumurois, —sont des combinaisons de l’esprit. Othello, Cordélia, Juliette, Hamlet, Falstaff ne seront jamais démodés. Les personnages de Zola, ceci sans rabaisser le puissant metteur en scène de la Comédie Humaine, sont en général plus abstraits, plus universels, en un mot plus humains, moins romanesques et aussi moins contemporains. Ils échappent au millésime de l’année, où ils furent indiqués comme vivants. Coupeau, Nana, le docteur Pascal, Aristide Saccard, sont de tous les temps. Ce sont des premiers rôles fixes du drame variable de l’humanité. Voilà l’influence dominatrice de Shakespeare, poète beaucoup plus méridional, que saxon, italien même, sur Zola. Cette genèse du talent de l’œuvre de l’auteur des Rougon-Macquart n’a été encore indiquée que par lui-même. Opiniâtre dans sa force, confiant dans son avenir, et