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n’eût réalisé qu’une lourde et ennuyeuse conception, vouée à l’indifférence et à l’oubli. Un poète nébuleux et demeuré ignoré, Strada, a tenté une semblable épopée. Son effort a passé inaperçu. Les palingénésies, les visions apocalyptiques, et les paroles de la Bouche d’ombre avec l’animation des pierres transformées en geôles d’âmes de scélérats couronnés (ce caillou a vu Suze en décombres…) sont les morceaux les plus dédaignés de l’œuvre épique de Victor Hugo. Zola ne se dissimulait pas la difficulté, l’impossibilité même de l’entreprise. Il ajoutait, en énumérant les parties projetées de son poème, « qu’il reculait devant la tâche formidable de rimer ses pauvres vers, sur cette grandiose pensée » . Mais le désir de faire grand, d’entasser des blocs géants pour la construction d’un édifice colossal, le hantait et l’animait. Il portait en lui le goût de l’œuvre touffue, synthétique, qu’il devait, par la suite, exécuter en prose. Les Rougon-Macquart ne sont pas nés, seulement, comme on pourrait le croire, du désir de rivaliser avec Balzac. Sauf le transport des mêmes noms dans des romans différents, imitation un peu puérile, et qui est loin d’avoir l’importance qu’a cru devoir lui attribuer l’auteur, l’œuvre de Zola n’a guère de rapports avec la Comédie Humaine. Balzac a combiné des caractères, et les types qu’il a magistralement dessinés sont des individualités. Beaucoup sont des créatures de l’imagination, de la fiction, plutôt que des contemporains observés. Les grandes dames et les grands coquins de la Comédie Humaine sont des produits du cerveau fécond de l’auteur, des inventions de génie. Où donc Balzac, traqué par ses créanciers, terré dans des logis mystérieux, attaché, par le besoin, par la dette, au papier à noircir, comme le serf à la glèbe à labourer, aurait-il pu regarder,