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Rien n’est plus rare que de trouver une place nous convenant, à nous qui sortons des lycées, disait Zola, devançant les virulentes apostrophes de Jules Vallès à l’enseignement classique, mais avec plus de force de raisonnement, et moins d’épithètes criardes. Inaptes dans la pratique, chevauchant sur des mots, sur des chiffres et des lignes, nous ignorons par excellence les menus détails de la vie, les combinaisons, pourtant si simples, qui peuvent se présenter dans un milieu social. Il nous faut un apprentissage plus ou moins long, partant un surnumérariat plein d’ennuis et vide de gain… Il raconte, à l’appui, l’une de ses démarches, entre mille, avec une verve âpre et sobre, sans inutiles anathèmes aux employeurs méticuleux et rébarbatifs. … J’adresse une demande à une administration. On me répond de passer chez le chef. J’entre, je trouve un monsieur tout de noir habillé, courbé sur un bureau plus ou moins encombré. Il continue d’écrire, sans plus se douter de mon existence que de celle du merle blanc. Enfin, après un long temps il lève la tête, me regarde de travers, et d’une voix brusque : « Que voulez-vous ? » Je lui dis mon nom, la demande que j’ai faite, et l’invitation que j’ai reçue de me rendre auprès de lui. Alors commence une série de questions et de tirades, toujours les mêmes, et qui sont à peu près celles-ci : si j’ai une belle écriture ? si je connais la tenue des livres ? dans quelle administration j’ai déjà servi ? à quoi je suis apte ? etc., etc., puis : qu’il est accablé de demandes, qu’il n’y a pas de vacances dans ses bureaux, que tout est plein, et qu’il faut se résigner à chercher autre part. Et moi, le cœur gros, je m’enfuis au plus vite, triste de n’avoir pu réussir, content de n’être pas dans cette infâme baraque. (Lettre à Baille, 1er mai 1861. Au fond, il n’était pas fâché d’être ainsi éconduit. Il cherchait « une position », par sentiment du devoir, par désir de soulager sa mère et de se disculper du reproche de paresse et de vie désœuvrée, mais il se sentait presque heureux d’avoir échoué. Il s’évadait, d’un pied léger, comme d’un piège, de ces bureaux où il avait failli