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pas toujours aisé, surtout dans une ville provinciale, de s’isoler, à trois ou quatre compagnons ayant les mêmes goûts, les mêmes aspirations vers la littérature, le théâtre, la peinture. Les poètes actuels, biens rentés, élégants, rasés, tondus, ayant pour Pégase l’auto, et bientôt le dirigeable, sont admis dans les sociétés distinguées. Les belles madames les câlinent, les invitent à dîner et parfois les prennent pour amants. Ils sont semblablement, quand ils débutent, « gobés » des jeunes femmes à bandeaux plats couvrant les oreilles, et accueillis à bocks ouverts ès-cabarets montmartrois ou rive-gauchers. Mais, au temps où Zola bredouillait ses primes strophes, le faiseur de vers et le barbouilleur de toiles étaient classés parmi les mal vus. Aussi, agissaient-ils sagement, ces jeunes Provençaux, aspirants artistes, en se retirant vers les déserts, sous couleur de tirer un bec-fin, Alcestes de la poésie, cherchant un endroit écarté, où de débiter leurs sornettes ils eussent la liberté. En ces solitudes brûlées, ils ne choquaient personne, commérant sur un tas de gens, ignorés à Plassans, dont les histoires ne pouvaient intéresser la bonne société : car ils n’avaient jamais été établis dans la ville, ni occupé une fonction honorable, ce Musset, ce Balzac, ce Delacroix, personnages si peu importants qu’on eût vainement cherché leur adresse dans le Bottin, mais dont les noms revenaient sans cesse dans les propos des jeunes chasseurs. Les trois amis, après avoir, à la poursuite de quelque volatile, égaré et chimérique, battu distraitement les buissons et sondé les bosquets, s’asseyaient sous bois, à l’heure où midi rôtissait les oliviers et les pins. On se hâtait de rassembler des brindilles résineuses et l’on cuisinait, en plein air. Le repas achevé, la digestion se