On délibéra sur la conduite à tenir. L’avis de Labori, appuyé par
Clemenceau, fut que le condamné devait partir pour éviter d’être touché
par la signification « parlant à la personne » du jugement rendu par défaut.
S’il recevait cette signification, elle faisait tomber le défaut, et
rendait un jugement définitif certain, dans le plus bref délai ; il n’y
aurait plus alors aucun recours judiciaire. Donc la fuite s’imposait.
L’Angleterre fut choisie comme terre de refuge. On fit en hâte les
derniers préparatifs. Zola ne voulut pas être accompagné. Il monta dans
l’express de Calais de neuf heures, et débarqua à Londres, à Victoria
Station, le 19 juillet, à cinq heures 40 du matin, sans avoir été reconnu
ni inquiété.
Il se fit inscrire à l’hôtel Grosvenor, que lui avait indiqué Clemenceau,
sous le nom de M. Pascal, venant de Paris. Il fut rejoint, le lendemain,
par son ami le graveur Desmoulins.
Zola eut quelques aventures, durant les premiers jours de son séjour à
Londres. Il les a lui-même plaisamment racontées.
Il ne savait pas un mot d’anglais, et il manquait de linge.
Figurez-vous, dit-il par la suite, en contant cette anecdote, que je
n’avais rien emporté avec moi, que ce que j’avais sur ma personne.
En conséquence, hier matin, en sortant, je voulus m’acheter
l’indispensable, et j’entrai dans un magasin où, à la devanture,
il y avait des quantités de chemises. J’entre, mais comme je ne sais
pas un mot d’anglais, je suis obligé de me faire comprendre par
gestes. J’enlève mon col et je me tape sur le cou.
Le boutiquier sourit et comprend. Il me prend mesure, il me montre
une chemise et des cols. Pour les chaussettes, ce fut un peu plus
difficile. Je dus enlever mon pantalon. Le
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