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son âme. Comme Pierre Sandoz, Zola s’est isolé, s’est confiné dans le labeur, et a vécu, pour ainsi dire, en dehors du monde. Tels les fanatiques religieux, dans les forêts de l’Inde, dans les cellules du moyen âge. Il y a de l’anachorète et de l’alchimiste dans Zola : du Faust aussi. Il a sans doute traduit, ou plutôt confessé ses plus intimes rêveries, quand il fait dire à Pierre Sandoz, racontant son existence confisquée par la production, acharnée et rétive, qu’il a vu l’œuvre à faire lui prendre sa mère, sa femme, tout ce qu’il aimait, lui voler sa part de gaieté ; le hanter comme un remords ; le suivre à table, au lit, partout ! L’obsession de l’œuvre entreprise, qui vous martèle la cervelle, et vous étourdit l’âme, au point de la rendre sourde aux plus sonores commotions extérieures, cette absorption de l’homme par la chose, qui seule peut-être produit les grands artistes, et les grandes œuvres, Zola la connut. Mais est-il le seul de ces malades du travail, de ces intoxiqués de la pensée ? Flaubert, lui aussi, est descendu dans son œuvre comme le gladiateur dans le cirque, avec le secret sentiment qu’il serait vaincu, mais avec la volonté aussi de lutter, ferme et droit, jusqu’au bout, se préoccupant seulement, quand ses forces seraient épuisées, et que le monstre se relèverait, plus terrible, enfonçant plus avant les ongles dans la chair, d’avoir le soin de se tourner, une dernière fois, vers le César Public impassible dans sa loge, et de tomber avec grâce. Comme le Pierre Sandoz de Zola, Flaubert a lutté désespérément contre l’œuvre. Tour à tour, il l’étreignait comme une maîtresse adorée, et la piétinait comme un ennemi. Il s’est épuisé dans cette double bataille. Lui aussi est mort de l’effort, et, lui aussi, n’avait vécu que