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mettre la main sur Plassans, comme leur modèle et maître a déjà posé sa patte césarienne sur Paris. Là aussi se révèle la puissance d’évocation des foules, et la magistrale stratégie avec laquelle l’auteur les maniera plus tard, dans l’Assommoir, Germinal ou la Débâcle. On trouve enfin, dans la Fortune des Rougon, comme dans tous les livres de Zola, de la poésie, du lyrisme, de la tendresse et de la rêverie. Seulement, ici, l’auteur n’ayant pas atteint la trentaine, encore tout vibrant de ses premières émotions romantiques, plus proche de Musset, d’Hugo, de George Sand, ayant fermé seulement la veille le tiroir empli des rimes de Rodolpho et de l’Aérienne, donne plus de place au lyrisme et plus grande part à la tendresse. Ce qui fait de la Fortune des Rougon un ouvrage précurseur et intense, c’est qu’il s’y rencontre une outrance de poésie et de grandeur qui ne sera plus jamais atteinte, même dans le Rêve, même dans Une Page d’amour, même dans la Débâcle et dans Germinal. Il y a, dans ce roman, une épopée et une idylle. Une population frémissante, indignée, héroïque, court, en chantant la Marseillaise, à la rébellion juste et à la mort imméritée, voilà l’épopée. Deux enfants purs, gracieux, énamourés, voilà l’idylle. Il y a du sang dans l’idylle, des extases dans l’épopée. Ce n’est qu’un épisode, l’amour ingénu de Miette pour Silvère, une pastorale évoquant Longus ; quant à la révolte des paysans, on peut considérer ce magistral tableau tel qu’un hors-d’œuvre historique, faisant souvenir de la Légende des siècles, mais ces deux morceaux d’art affirment, au portail même du monument massif et géant des Rougon-Macquart, quel poète et quel artiste en fut le constructeur.