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malgré moi, où il s’amuse. Si jamais vous écrivez, au théâtre, une œuvre qui le prenne par les entrailles, j’aurais beau me mettre en travers, le public me passerait sur le corps pour aller l’entendre. Mais, croyez-le bien, je me rangerais d’abord et sonnerais la fanfare sur son passage. Votre ami Alphonse Daudet vient de donner à l’Odéon une pièce qui soulève, sans doute, beaucoup d’objections, mais où se trouvent quelques scènes extrêmement bien faites, et d’autres qui ont un ragoût de nouveauté piquante ; c’est lui qui l’a écrite tout seul, répudiant ces collaborations derrière lesquelles on peut se replier, en cas d’insuccès, et battre en retraite. Est-ce que je ne lui ai pas le premier battu des mains ? Je ne suis pas occupé de savoir si son drame était en opposition avec mes théories. Mes théories ! mais je n’en ai qu’une, c’est qu’au théâtre il faut intéresser le public. Peu m’importe à l’aide de quels moyens on y arrive. Ces moyens, je les examine, je les analyse ; c’est mon métier de critique. Mais pourquoi, diantre ! en repousserais-je un de parti pris ? Non, mon cher Zola, je ne suis pas si exclusif que vous feignez de le croire. Je suis convaincu, pour ma part, qu’un jour vous vous emparerez du théâtre ; ce ne sera pas de prime saut, comme Dumas, par exemple, qui a fait la Dame aux Camélias, un chef-d’œuvre, sans y songer, en se jouant, conduit par ce mystérieux instinct qu’on appelle le don. Vous y aurez plus de peine, mais à des qualités d’artiste de premier ordre vous joignez une ténacité invincible ; vous savez vouloir. Laissez donc, pour le moment, Busnach vous gagner, au petit bonheur, tantôt la forte somme, tantôt un simple lapin, avec vos livres adroitement découpés en pièces. Ne vous mêlez de cette besogne subalterne que pour apprendre les procédés du théâtre ; prenez-en patience et des succès qui n’ajoutent rien à votre renommée, et des échecs qui n’entament point votre gloire. Arrivez-nous un jour avec un drame écrit par vous, et soyez assuré que, s’il est vraiment ce que j’espère, ce n’est pas moi qui ferai obstruction. Le théâtre n’a été qu’un accident répété, une série d’à-coups dans l’existence de Zola. Le romancier a tout