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et de romancier d’abord incolore, confus, médiocre, jusqu’à ce bond énergique qui nous le montre, après Thérèse Raquin, déjà maître de sa pensée, possesseur de sa forme, et prêt à tracer, d’une main sûre, la généalogie des Rougon-Macquart, c’est-à-dire le plan de son grand édifice littéraire, le plan aussi de toute sa vie. Dans ses divers logements, toujours sur la rive gauche, où il vivait en garçon, Zola avait eu surtout pour compagne fidèle : la misère. Il la supportait avec résignation et bonne humeur. Il avait pour soutien la confiance en soi. Nullement geignard, il n’a jamais essayé d’apitoyer et de se donner la gloriole du parvenu, en retraçant, et l’on sait avec quelle vigueur il aurait pu le faire, le tableau pittoresque et attendrissant de sa débine juvénile. Une seule fois, il fit allusion à ces heures miséreuses. Ce fut à propos des descriptions accumulées de Paris, vu panoramiquement des hauteurs de Passy, et de ses ciels variables, dans Une Page d’Amour. La critique lui en reprochait la répétition et la monotonie : J’ai pu me tromper, dit-il, dans son article sur la Description, et je me suis trompé certainement, puisque personne n’a compris ; mais la vérité est que j’ai eu toutes sortes de belles intentions, lorsque je me suis entêté à ces cinq tableaux de même décor, vu à des heures et dans des saisons différentes. Voici l’histoire : dans la misère de ma jeunesse, j’habitais des greniers de faubourgs d’où l’on découvrait Paris entier. Ce grand Paris immobile et indifférent, qui était toujours dans le cadre de ma fenêtre, me semblait comme le témoin muet, comme le confident tragique de mes joies et de mes tristesses. J’ai eu faim et j’ai pleuré devant lui, et, devant lui, j’ai aimé, j’ai eu mes plus grands bonheurs. Eh bien ! dès ma vingtième année, j’avais rêvé d’écrire un roman dont Paris, avec l’océan de ses toitures, serait un personnage, quelque chose comme le chœur antique… C’est cette vieille idée que j’ai tenté de réaliser dans Une Page d’Amour. Voilà tout…