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l’amitié et l’estime des hommes ? Ayez l’air de les estimer. Si le mépris offense et déplaît plus que la haine, l’estime est plus douce que la bienveillance, et les hommes s’inquiètent plus et désirent plus d’être estimés que d’être aimés. Les marques d’estime vraie ou fausse (et de toute façon elles obtiennent toujours créance) provoquent presque toujours de la reconnaissance, et beaucoup de gens, qui ne lèveraient pas un doigt pour rendre service à qui les aime vraiment, se jetteront au feu pour quiconque fera mine de les estimer. Rien n’est plus propre à faire oublier les injures : car il semble que la nature ne nous permet pas de haïr une personne qui dit nous estimer. Au contraire : on voit fréquemment les hommes haïr ceux qui les aiment ou même leurs bienfaiteurs. Si l’art de captiver les hommes dans la conversation consiste à faire qu’on soit plus content de soi en nous quittant qu’en nous rencontrant, il est clair que les marques d’estime auront plus de force pour gagner les hommes que les marques de bienveillance, et elles vaudront d’autant plus qu’elles seront moins méritées. Ceux qui ont l’habitude du genre de courtoisie dont je parle, sont courtisés, ou peu s’en faut, partout où ils se trouvent : cette douceur de se croire estimés fait accourir les hommes, comme le miel attire les mouches. Ces complimenteurs sont eux-mêmes fort loués : car, en entendant les louanges qu’ils