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désirable. Et, outre que l’attente certaine de ce bien serait d’un mince confort, quelle espérance d’y atteindre as-tu laissée même aux hommes justes et vertueux, si ton Minos, ton Eaque et ton Radamanthe, juges rigides et inexorables, ne doivent pardonner à aucune ombre, à aucune trace de faute ? Quel est l’homme qui pourrait se sentir, ou se croire aussi net, aussi pur que tu le réclames ? De sorte qu’il finit par être tout à fait impossible d’atteindre à cette félicité, quelle qu’elle soit, et il ne suffit pas de la conscience d’avoir vécu le plus droitement et le plus laborieusement possible pour ôter à l’homme l’incertitude de son état futur et la crainte des châtiments. Ainsi, par tes doctrines, la crainte l’a emporté d’une manière infinie sur l’espérance et est devenue la maîtresse de l’homme, et voici quel est en définitive le fruit de tes doctrines : le genre humain, qui dans cette vie est un exemple merveilleux d’infortune, s’attend à trouver dans la mort, non la fin de ses misères, mais un état plus malheureux encore. De la sorte, tu as vaincu en cruauté, non seulement la nature et le destin, mais encore les tyrans les plus cruels, les bourreaux les plus impitoyables qui soient au monde.

Mais à quelle barbarie peut-on comparer l’arrêt par lequel tu défends à l’homme de mettre fin à ses souffrances, à ses douleurs, à ses angoisses, en surmontant l’horreur de la mort et en se privant