Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que sont devenues toutes les choses terrestres, en dehors de toi, et toute la vie entière à mon regard ! Quel intolérable ennui que les loisirs, les relations ordinaires, et la vaine espérance d’un vain plaisir, à côté de cette joie, de cette joie céleste qui vient de toi ?

Comme un voyageur qui, des rochers nus du rocailleux Apennin, cherche de ses yeux avides une plaine verte qui lui sourie de loin, de même au sortir d’une sèche et âpre conversation mondaine, je reviens à toi, comme en un jardin joyeux, et mon séjour chez toi restaure mes sens.

Il me semble presque incroyable que depuis longtemps déjà j’aie supporté sans toi la vie malheureuse et le monde sot ; je ne puis presque comprendre comment on peut soupirer d’autres désirs que de ceux qui te ressemblent.

Jamais, depuis que pour la première fois l’expérience m’apprit ce qu’est cette vie, la crainte de la mort ne me serra le cœur. Aujourd’hui, elle me paraît un jeu cette nécessité funeste que le monde inepte loue parfois, mais abhorre et redoute le plus souvent, et si ce danger apparaît, je contemple, immobile, ses menaces avec un sourire.

Toujours les couards et les âmes non généreuses et abjectes, je les ai eus en mépris. À présent, tout acte indigne blesse soudain mes sens ; mon âme à tout exemple de l’humaine vileté s’émeut soudain