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instant et de dire : Je fus heureux plus que tous les heureux. Mais, hélas ! le ciel n’accorde pas un si grand bonheur à la nature terrestre. La joie n’accompagne pas un amour si profond. J’aurais volontiers volé aux tortures, aux roues, aux torches ardentes, s’il l’eût fallu, au sortir de tes bras, et je serais descendu dans l’horreur de l’éternel supplice.

Ô Elvire, Elvire ! Oh ! heureux, oh ! plus fortuné que les immortels, celui à qui tu montres ton sourire d’amour ! Heureux après lui celui qui, pour toi, répandrait sa vie avec son sang. L’homme peut, et ce n’est plus un songe comme je l’ai cru longtemps, oui, l’homme peut éprouver le bonheur sur terre. Je l’ai su le jour où je te regardai fixement. Ce bonheur, ma mort me le donne. Et ce jour, où je te vis, ce jour cruel, je n’ai jamais pu le maudire d’un cœur assuré, parmi tant de chagrins.

Maintenant, vis heureuse et embellis le monde de ton aspect, mon Elvire. Personne ne t’aimera autant que je t’aimai. Il ne naît pas un second amour semblable. Combien, ah ! combien, pendant ces longues années, le malheureux Gonzalve t’appela de ses lamentations et de ses larmes ! Comme j’ai pâli quand mon cœur se glaçait au nom d’Elvire ! comme je tremblai en franchissant ton seuil amer, à cette voix angélique, à l’aspect de ce front, moi qui ne tremble pas de mourir !