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être nous donner un peu de lumière, lui qui a vécu plusieurs siècles ; et pourtant, puisqu’il est mort comme les autres, il ne semble pas qu’il fût immortel. Je dirai donc que le sage Chiron, qui était dieu, s’ennuya de la vie avec le temps, obtint de Jupiter la permission de mourir et mourut. Or imagine, si l’immortalité déplaît aux dieux, ce qu’elle ferait aux hommes. Les Hyperboréens, peuple inconnu, mais fameux, chez lesquels on ne peut pénétrer ni par terre ni par eau, riches de tous biens et spécialement de beaux ânes, dont ils font des hécatombes, peuvent, si je ne me trompe, être immortels, parce qu’ils n’ont ni infirmités, ni fatigues, ni guerres, ni discordes, ni disettes, ni vices, ni fautes, n’en meurent pas moins tous, car au bout de mille années de vie ou environ, las de la terre, ils sautent volontairement d’un certain rocher dans la mer et s’y noient. Voici une autre fable. Les deux frères Biton et Cléobis, un jour de fête, les mules n’étant pas prêtes, s’attelèrent au char de leur mère, prêtresse de Junon, et la conduisirent au temple : la prêtresse supplia la déesse de récompenser la piété de ses fils par le plus grand bien qui puisse arriver aux hommes. Junon, au lieu de les rendre immortels, comme elle l’aurait pu et comme c’était alors l’habitude, fit que tous les deux moururent doucement à ce même moment. La même chose arriva à Agamède et à Trophonius. Quand ils eurent fini le temple