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aucun homme n’a été digne du génie italien, sauf un seul, et qui ne méritait pas ce siècle lâche : c’est ce fier Allobroge au cœur plein d’une mâle vertu qui lui vint du Nord et non de mon pays fatigué et aride. Simple particulier, sans armes (audace mémorable !) il fit sur la scène la guerre aux tyrans. Qu’on accorde du moins cette guerre misérable et ce vain champ de bataille aux colères impuissantes du monde. Le premier et seul il descendit dans l’arène et nul ne suivit : maintenant l’oisiveté et un lâche silence nous oppressent tous.

Toute sa vie, sa vie sans tache, se passa à s’indigner et à frémir, et la mort le préserva de voir pire. Ô mon Alfieri, ni cet âge ni ce pays n’étaient pour toi. D’autres temps, d’autres séjours conviennent aux génies sublimes. Maintenant nous vivons rassasiés de repos et dirigés par la médiocrité : le sage est descendu et la foule a monté à un seul niveau qui égalise le monde. Ô inventeur fameux, continue ; réveille les morts, puisque les vivants dorment ; arme les langues éteintes des anciens héros ; tellement qu’à la fin ce siècle de fange ou désire la vie et se lève pour des actes illustres, ou ait honte de lui-même.