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Dante, si dans ton cœur ne bout plus la colère,
Ce cœur est bien changé de ce qu’il fut sur terre.
Dans le désert glacé des champs ruthéniens,
Ils tombaient, ils mouraient tes preux Italiens,
Dignes d’une autre mort ! Sur cet âpre rivage,
L’air et le ciel, et l’homme, et la bête sauvage,
Fauve habitant d’un sol que le froid a durci,
Leur livraient un combat sans trêve et sans merci.
Guerre horrible où des maux doublant pour eux la somme
Les éléments étaient plus meurtriers que l’homme !
Ils tombaient par milliers, mornes, la plaie aux flancs,
Ils tombaient demi-nus, exténués, sanglants,
Et la neige servait de couche à leurs fronts blêmes.
Alors, dans le frisson des angoisses suprêmes,
Se rappelant la terre où s’ouvrirent leurs yeux,
La terre regrettée au soleil radieux,
Ils disaient : « Plût au ciel que le glaive rapide
Nous eût fauchés, et non ce climat homicide,
Non ces lourds tourbillons contre nous déchaînés !
Plût au ciel que pour toi nous fussions moissonnés,
Pour ton bien, ton salut, ton honneur, ô patrie !
Voici que loin de toi, gerbe au matin flétrie,
Dans notre plus bel âge et du monde ignorés,
Du tombeau des aïeux à jamais séparés,
Voici que par l’hiver, nation abattue,
Nous mourons pour ce peuple, ô mère, qui te tue !

Les sifflantes forêts, le désert boréal,
Auront seuls entendu leur adieu filial