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Rien ne sut arrêter le bras qui nous décime,
Nul temple, nul autel, nul attentat, nul crime !

Pourquoi sommes-nous nés en des temps si pervers ?
Pourquoi, Destin aveugle, ô loi de l’univers,
Nous donnas-tu la vie ? ou, nous l’ayant donnée,
Pourquoi ne l’as-tu pas, cruelle Destinée,
Ne l’as-tu pas reprise avant ces sombres jours
Où le Nord a vomi sur nous ses noirs vautours ?…
Ainsi, nous avons vu notre patrie esclave
D’étrangers, de félons, dont la force nous brave ;
Nous avons vu ronger son antique valeur
Par les revers, saigner à son flanc sa douleur,
Sans qu’il lui soit venu, dans sa noire détresse,
Ni soutien, ni secours, ni pitié vengeresse,
Ni protestation ; sans que d’aucun côté
Jaillît le cri du Droit contre l’Iniquité !
Misérable abandon ! Hélas ! chère meurtrie,
Tu n’as pas eu le sang de tes fils, ô patrie !
Leur sang pour te venger ou pour te secourir !…
Pour toi je n’ai pas eu le bonheur de mourir,
Et, sous le vert cyprès d’une tombe opportune,
Avec toi partagé ton amère fortune !…
Mère ! à cette pensée affreuse, la fureur,
Autant que la pitié, me déborde du cœur !
Bon nombre d’entre nous pourtant, noble Italie,
Dans la fleur de leurs jours, jeunesse ensevelie,
Bon nombre ont su combattre et tomber expirants !…
Pour leur mère éplorée ? Eh ! non ! pour ses tyrans !